Mères haïtiennes : quand l’hommage masque le fardeau

Chaque dernier dimanche de mai, Haïti célèbre ses mères avec fleurs, chants et discours émus. Les médias se parent de slogans tendres, les écoliers récitent des poèmes, les boutiques exposent leurs cartes de vœux… Tout semble conçu pour rappeler combien la figure maternelle est essentielle dans la société haïtienne. Mais derrière cette effusion d’amour et de reconnaissance se cache une autre réalité, bien moins reluisante. Celle de femmes épuisées, invisibilisées, souvent abandonnées par un État qui célèbre leur courage sans jamais le soutenir concrètement.

Une maternité au goût de combat

En Haïti, selon les données de l’IHSI, près d’une famille sur deux est dirigée par une femme seule. Ces mères, bien souvent sans emploi stable et sans filet de sécurité sociale, doivent assurer logement, nourriture, éducation, santé — dans un pays où les institutions publiques sont en ruines. Leur quotidien est un combat permanent contre l’inflation, l’insécurité, la violence et la précarité. Pour beaucoup, la fête des mères n’est qu’un répit symbolique au milieu d’une course d’obstacles incessante.

Certaines d’entre elles sont les célèbres madan Sara, ces femmes commerçantes qui sillonnent les routes pour faire tourner le petit commerce local. D’autres sont femmes au foyer, mères d’enfants déplacés, ou encore travailleuses informelles tentant de joindre les deux bouts. Toutes partagent un point commun : elles sont à la fois moteurs, protectrices et boucliers dans un pays en crise. Mais elles sont aussi, trop souvent, les grandes oubliées des politiques publiques.

Derrière l’éloge, l’effacement

La glorification du rôle maternel en Haïti masque mal l’injustice structurelle à laquelle ces femmes sont confrontées. L’image du poto mitan, si répandue dans l’imaginaire collectif, finit par figer les femmes dans un rôle sacrificiel. Elle les enferme dans une posture d’endurance, où leur force devient une excuse pour l’inaction des pouvoirs publics. Elle entretient le mythe que les femmes peuvent tout porter — sans aide, sans pause, sans plainte.

Ce sont ces femmes que l’on célèbre un jour par an, mais que l’on néglige les 364 autres. Ce sont elles que l’on félicite pour leur courage, mais que l’on laisse seules face à la faim, aux dettes, aux violences domestiques, aux déplacements forcés. Ce sont elles qui élèvent les enfants de demain, dans des conditions qui compromettent leur propre santé physique et mentale.

Pour une reconnaissance réelle, pas symbolique

Il est temps de dépasser les slogans et les métaphores. Le respect dû aux mères haïtiennes ne doit pas se limiter aux bouquets de fleurs ou aux chansons de circonstance. Il doit s’incarner dans des politiques concrètes : accès à des soins de qualité, à une éducation pour leurs enfants, à des formations professionnelles, à des aides sociales, à une justice qui les protège.

Valoriser les mères ne signifie pas les condamner à être les piliers silencieux d’un système défaillant. Cela implique au contraire de leur permettre de respirer, d’avoir des droits, des opportunités, une vie digne.

Les mères haïtiennes ne demandent pas la lune. Elles veulent simplement que leur rôle soit reconnu à sa juste valeur. Non pas à travers un mot flatteur ou une journée de célébration, mais par des actions concrètes, durables, réparatrices. Il est temps de poser un autre regard sur celles qui font tenir Haïti debout. Non plus comme des héroïnes fatiguées, mais comme des citoyennes à part entière, dignes de respect, de justice et d’avenir.

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