Cap-Haïtien : un 18 mai entre ferveur, frustration et délabrement

Cap-Haïtien, 18 mai 2025 — Dans un décor contrasté de célébration patriotique et de désillusion populaire, la deuxième ville du pays a accueilli les cérémonies officielles du 222e anniversaire du drapeau haïtien. Une journée marquée à la fois par la solennité du rituel, la colère d’une population à bout, et la misère visible à chaque coin de rue.

Tandis que le centre-ville recevait brièvement un peu de courant, les autres quartiers restaient plongés dans l’obscurité. Les coupures d’électricité, devenues la norme, ont planté le décor d’une fête nationale en demi-teinte, dans une ville où le manque criant de services de base rappelle les failles profondes de l’État.

Une cérémonie sous tension

La célébration officielle s’est ouverte à la cathédrale Notre-Dame, où une messe a été dite en présence de hauts dignitaires, dont plusieurs membres du Conseil présidentiel de transition et le Premier ministre. À leurs côtés, des responsables locaux, des élèves et leurs enseignants avaient également fait le déplacement.

L’archevêque du Cap-Haïtien, dans une homélie grave, a fustigé l’incapacité des autorités à sécuriser le territoire. Il a dénoncé l’abandon de quartiers entiers tombés sous le contrôle de groupes armés, mettant en péril l’avenir de la jeunesse haïtienne. « Il n’y a pas d’avenir dans la peur », a-t-il martelé.

Mais ce moment de recueillement a vite été troublé. Des enseignants en colère ont tenté de s’introduire dans la cathédrale pour faire entendre leurs revendications. Une échauffourée éclate. Un professeur se heurte physiquement à un agent de la PNH — une scène surréaliste aux portes mêmes d’un lieu sacré.

Protestations et discours étouffés

Plus tard, lors du dîner d’État organisé à la mairie, la tension monte d’un cran. Alors que les discours officiels s’enchaînent, des cris de contestation fusent depuis la foule. Certains dénoncent l’inaction du gouvernement, d’autres s’en prennent directement au CPT. La mairesse Yvrose Pierre tente de parler, mais peine à se faire entendre. Elle dénonce alors, sans détour, l’abandon de sa commune par les autorités centrales.

L’intervention du président du Conseil présidentiel, Fritz Alphonse Jean, est tout aussi mouvementée. Pris à partie, il s’adresse brièvement aux protestataires : « Vous savez très bien qui alimente la violence dans ce pays. Ne faites pas semblant de l’ignorer. » Son ton trahit l’agacement. Il reprendra ensuite son discours officiel en promettant des ressources contre l’insécurité et le trafic de drogue.

Une ville qui crie au secours

Au-delà des discours, c’est l’état de la ville elle-même qui choque. Des montagnes de déchets, des canaux bouchés, des eaux stagnantes pestilentielles. Aux portes de la ville, le chaos urbain s’impose comme un décor permanent. À Cité Lescot, au Haut-du-Cap ou à Saint-Philomène, l’insalubrité n’est plus une anomalie : elle est la norme.

Dans cet environnement, la vie suit pourtant son cours. Les enfants jouent au bord des égouts, les marchands ambulants tentent de gagner quelques gourdes dans un décor qui défie toute dignité humaine.

Une jeunesse debout, malgré tout

En fin de journée, les rues se sont animées au son des fanfares scolaires. Les écoliers, fièrement vêtus de leurs uniformes, ont défilé sous les applaudissements des passants. Ce moment de grâce, empreint d’espoir, a offert un contraste saisissant avec les scènes précédentes.

Derrière leurs sourires, toutefois, se dessine une interrogation lourde de sens :
Jusqu’à quand ces jeunes devront-ils grandir dans une nation où l’espoir ne suffit plus à bâtir l’avenir ?

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